- Aronaar a écrit:
- A un habitant de la Terre du début du siècle dernier, certaines banalités de notre existence paraîtraient probablement stupéfiantes.
De quelques clics ou effleurements de doigts, depuis votre domicile ou en déplacement, il vous est loisible de commander un nombre vertigineux d’objets de toutes les catégories imaginables ; quand bien même ils viendraient de l’autre bout du monde, ils vous parviendront sous quelques jours ou quelques semaines au pire.
Imaginez alors pour un habitant du treizième siècle ! Le monde était empli de terra incognita, de marchandises inconnues, aller les quérir prenait des semaines ou des mois- à compter que l’on en revienne entier, ou même vivant.
C’est à cette époque que Le rubis sacré désire nous transporter, dans la peau d’un jeune homme à peine connu : Marc Polo, du temps de sa jeunesse ! Une idée séduisante car nous éloignant de l’Europe qui sert de cadre à beaucoup de livres de la série, tout en nous faisant incarner quelqu’un dont les compétences martiales ne seront pas un attribut premier.
Suffisamment séduisante pour embarquer ? Attachez fermement les ballots de marchandise, prenez votre bourse pleine de ducats et découvrons-le ensemble, ami Lecteur.
Je n’ai pas écrit la moitié de ce que j’ai vu, car je savais qu’on ne me croirait pas
Puissance commerciale incontournable au treizième siècle, Venise est votre patrie et le sang des marchands coule dans vos veines.
C’est heureux car vous allez partir avec votre famille pour une missions tout à la fois mercantile et diplomatique, en direction de l’Orient lointain, foisonnant de mystères et de richesses : il vous faut vous présenter à le cour du Khan Koubilaï, Empereur de l’immense Chine.
En ce temps-là, le pays ayant édifié la Grande Muraille n’a pas échappé grâce à cette dernière à un peuple de redoutables conquérants : les Mongols. Plutôt que d’en faire un Etat tributaire, les nomades ont instauré une dynastie à part entière, celle des Yuan, imposant sa domination à une gigantesque population.
Le Grand Khan a en effet soif de connaissances sur cet empire de la chrétienté, tandis que celle-ci aimerait à voir en lui un soutien contre l’Islam.
Une grande responsabilité pour un jeune homme de 17 ans tel que VOUS ! Et en vérité, s’il est bien question à la fois d’être marchand et ambassadeur, l’objet de cette aventure se portera plutôt sur la mission que vous confiera l’Empereur, en tant qu’envoyé spécial : retrouver, comme vous l’aurez deviné grâce à votre sens aiguisé de l’observation, un rubis sacré attisant sa convoitise.
Mission qu’on ne prête certes pas au véritable Marco Polo, mais il fallait bien un point d’accroche, car si le célèbre vénitien a produit un Livre des merveilles ayant enchanté l’Occident, il officia notamment en tant qu’inspecteur du Grand Khan : une occupation ne donnant pas nécessairement lieu à des aventures comme celles qu’on retrouve dans cette collection.
Cette quête d’une remarquable pierre précieuse ne constitue toutefois pas l’essentiel du livre, elle en occupe approximativement la seconde moitié.
La première, naturellement, est dédiée à votre traversée jusqu’à la cour de l’Empereur, surtout par voie de terre, à dos de chameau et dans le désert, par les plaines et les villes exotiques sur votre chemin.
C’est ce qu’on pourrait nommer la section du négociant, car c’est là que vous échangerez des ressources pour accroitre vos richesses en équivalents-ducats, tout en veillant à perdre le moins de marchandises possibles durant vos pérégrinations.
L’occasion de s’émerveiller devant les bâtiments construits dans des styles résolument différents, les mets nouveaux et l’abondance de biens qu’on ne connaît point en Occident, à l’instar des lapis-lazulis !
Une fois que vous aurez obtenu votre « véritable » mission de la part du souverain Yuan, cet aspect-là sera complètement mis de côté et ne sera pris compte qu’à la toute fin ; selon vos biens et richesses, le livre vous octroiera un score et une appréciation, qui ne sont pas sans rappeler le scoring si prévalent lorsque les jeux vidéo ont commencé à devenir populaires.
S’il aurait été probablement dommageable d’escamoter complètement cette partie commerciale, puisque vous traversez la Route de la Soie et faites partie d’une famille de marchands renommés, on retombe sur un défaut finalement omniprésent dans Les Histoires à Jouer : la limitation du nombre de paragraphes.
Que ce soit pour faire face à la concurrence avec un rythme rapide de parutions ou pour d’autres raisons, les tomes flirtent toujours avec les 200 paragraphes, parfois un peu plus, parfois un peu moins.
Or, si on ne va pas imaginer que les auteurs se soient lancés à retranscrire ne serait-ce qu’une petite partie de la vingtaine d’années passée par Marco Polo en Asie, c’est là une quantité fort insuffisante pour nourrir des péripéties se déroulant dans une région aussi vaste.
Il est possible ainsi de faire un crochet par le Tibet !
Si on pouvait regretter, dans les Défis Fantastiques, une limitation de 400 paragraphes parfois atteinte de manière assez artificielle, ici, le récit aurait mérité au moins autant pour s’épanouir pleinement.
C’est notamment vrai pour les nombreux déplacements, souvent de plusieurs semaines ou de plusieurs mois, qui sont traités en quelques lignes hâtives : dommage !
Peut-on se consoler avec le système de jeu ?
Tout passe, hormis ce que les hommes ont sauvé de l'oubli par le marbre ou par le parchemin !
Si vous êtes un vieux routard des livres de cette collection, vous pouvez allégrement ignorer la section qui suit.
De l’Antiquité au temps des gangsters, en passant par la France médiévale, votre personnage est principalement défini par trois caractéristiques :
- Les capacités physiques : tout ce qui a trait à la force et l’endurance.
- Les capacités manuelles : en relation avec la dextérité.
- La communication : la capacité à embobiner son prochain.
Vos points de vie sont égaux à votre capacité physique multipliée par 2.
Afin de définir vos scores, deux solutions : lancer un D6 pour chacune d’elle et rajouter 3 points, ou bien choisir parmi une liste de six « builds » déjà établis.
Cette seconde option ne manque pas d’attraits car avec une base fixe de seulement 3 points, le score d’un D6 représente une variance non négligeable.
La vocation de ces caractéristiques est bien sûr d’être testé, néanmoins, à la différence de beaucoup d’autres livres, il ne s’agira pas de rester dans le seuil de votre caractéristique, mais bien d’ajouter la valeur de cette dernière au lancer d’un D6.
Si le résultat est égal ou supérieur à l’indice de difficulté de l’épreuve en question, c’est réussi !
Le système est assez robuste : c’est une amélioration notable par rapport à des mécaniques ultra-classiques comme celles des Défis Fantastiques et donne un peu de corps à votre personnage.
Qu’en est-il du système de combat ? Les choses sont assez simples et ressemblent – vous aurez deviné ce qui va être mentionné – à ceux dans les Défis Fantastiques.
Foin d’Habileté, ici, les capacités physiques déterminent également la capacité de combat, qui est fonctionnellement la même chose (ce qui peut causer un certain déséquilibre, puisqu’elle est à la racine de deux autres mécaniques : on est naturellement incliné à la privilégier par rapport aux autres).
A chaque assaut, la formule connue prévaut : au lieu de deux dés, un seul est lancé, on rajoute le total de départ de capacités physiques, celui obtenant le plus gros score blesse le malheureux en face de lui.
Les dégâts sont déterminés par l’arme utilisée : un couteau fera perdre 3 points de vie, une épée 4 etc. ; auquel on retranche tout éventuel point de protection.
Trois subtilités :
- La fuite, au risque de vous prendre une blessure : l’intérêt semble faible et le texte ne vous en donne l’opportunité que de façon très variable selon les volumes.
- Un malus lorsque vous affrontez plusieurs adversaires : -1 à votre capacité de combat pour chaque adversaire en plus du premier que vous affrontez, jusqu’à un malus de -3. Inutile de préciser que dès -2, les carottes sont probablement cuites…
Les situations les plus courantes sont toutefois du 1 VS 1 ou du 1 VS 2.
Le système a essentiellement les mêmes vertus et les mêmes failles que celui inventé par Livingstone et Jackson : une absence de complexité et un déséquilibre patent selon les scores en capacité de combat, sans réel harmonisateur (et pas de test de Chance pour rattraper les coups durs).
Une nuit comme une journée de repos permettent de regagner 2 points de vie, les possibilités de soin
variant diablement d’un tome à l’autre.
Notez enfin que pour votre confort, les pages de chaque livre comportent des dés imprimés, ainsi qu’une table de hasard.
Venons-en maintenant aux particularités de ce livre. Dans cette série, on a l’habitude de trouver une quatrième caractéristique. Ici, la générosité prévaut car ce ne sont pas moins de quatre attributs supplémentaires qui définissent votre personnage !
Sans aller plus loin, c’est déjà une piètre idée : du fait de longueur déjà évoquée, on se retrouve dans une situation pareille à celle d’un débat politique prévu pour quatre et qui se retrouve soudainement avec huit participants, sans que le temps de parole soit augmenté pour chacun (tout en empiétant également sur la durée de vie du tome).
Lorsqu’on dispose déjà d’une capacité de Communication, était-il ainsi nécessaire d’adjoindre le Charisme, même en lui faisant englober une certaine éthique du commerce ?
A ce titre, le marchandage – même s’il est condamné à ne servir qu’une moitié du livre – parait plus
pertinent, ne serait-ce que parce qu’il traduit une qualité importante du protagoniste.
La Connaissance du terrain représente le savoir acquis par Marco au fur et à mesure qu’il arpente ces terres étrangères, elle sert surtout à éviter des périls topographiques et on aurait presque pu la voir rangée dans les Capacités manuelles à cet égard- même si l’on perdrait alors l’aspect connaissance.
Enfin, on retrouvera la Chance, composante impérative selon les auteurs durant un si long voyage. Heureusement, elle ne sera pas déterminante souvent pour des passages cruciaux, remplissant plutôt un rôle de filet de sécurité lorsqu’un test dans une autre catégorie aura échoué.
Si vous en manquez, il pourrait quand même vous arriver quelques PFA… Tout comment en échouant à certains autres tests.
Même si Marco sait se battre (et peut utiliser une technique spéciale, finalement peu pertinente) les combats seront beaucoup moins fréquents que dans d’autres livres de la série, choix tout à fait raisonnable puisque notre protagoniste n’est pas taillé pour la guerre.
A moins d’être un irréductible amateur de lancer des dés à tout va pour réduire en charpie humains et créatures, c’est d’ailleurs un agréable changement.
Notez tout de même quelques PFA discutables, comme refuser la mission confiée par le Grand Khan où un échec à le convaincre via un test de Charisme : le dirigeant vous donnera tout de même des tâches à accomplir, ennuyantes apparemment ; le conseil des auteurs : recommencer le livre depuis le début pour vous distraire !
Une petite touche d’humour, mais là encore, lorsque le contenu est déjà si serré, on aurait pu souhaiter une autre utilisation pour ces paragraphes.
Vous ne pouvez pas changer votre futur, mais vous pouvez changer vos habitudes et celles-ci changeront votre futur
Et c’est déjà là l’essentiel des particularités du système de jeu pour Le Rubis Sacré ! Il y a bien une page dédiée de la feuille d’aventure, vous permettant de lister les villes traversées et les biens échangés, cependant on passe finalement trop peu de temps à faire du négoce pour que cela prenne une grande place dans notre aventure.
Ceci milite pour une fluidité de lecture et une simplicité d’accès au livre, là où d’autres tomes dans la collection aiment à nous bombarder de mécaniques plus ou moins fouillées (confère les batailles collectives et le suivi de la flotte dans Le voyage d’Ulysse, par exemple).
Même les mini-jeux seront moins présents que d’habitude, lors de ma lecture, un seul s’est présenté sur ma route- et encore était-ce car j’avais échoué à un test, m’amenant fort sottement à dresser le campement au pied d’un volcan pas tout à fait éteint.
Autrement, on retrouvera de pimpants hexagones :
Ce qui renforce l’aspect ludique avec cette matérialisation de notre environnement. Aucun d’entre eux n’est toutefois inoubliable et certains souffrent parfois d’un épineux défaut : le temps passé à les résoudre (et un relatif manque de fun) peut laisser songer qu’un test de capacité aurait été tout aussi pertinent.
Difficile en tout cas d’y voir un puissant moteur de relecture dans une livre qui a du mal à se trouver, entre le jeu du marchand et celui de l’aventurier en quête de la gemme convoitée par l’Empereur.
Quelques menues variations ont lieu durant la première moitié du tome, tandis que la seconde est surtout constituée de fausses pistes ; pour autant, si vous suivez les indices prodigués à votre intention, aller dans
la bonne direction n’est point trop ardu.
Au final, on reste sur sa faim alors qu’il y aurait tant à découvrir : les auteurs offrent de petits fragments et anecdotes historiques, comme le fait que la Chine d’alors utilisait le papier-monnaie bien avec l’Occident, ou que les Chinois divisaient la nuit en plusieurs phases bien précises.
Tout comme à l’époque de Marco Polo, l’Asie et ses merveilles a de quoi fasciner nos esprits habitués à d’autres repères et valeurs, mais nous ne pourrons ici qu’y jeter un œil par un trou de serrure…
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« Khanbalik express »
Tant sur le fond que sur la forme, les auteurs – qui ne sont d’ailleurs pas ceux habituels pour cette série – tenaient une fort bonne idée en voulant nous faire marcher dans les pas d’un des plus grands voyageurs de l’Histoire.
Hélas ! Faute de matière et d’une division entre deux volets substantiellement différents, on obtient une partie marchande et une partie aventurière toutes deux diluées, incapables d’atteindre tout leur potentiel.
Si on aura plaisir à découvrir certaines particularités de la Chine du treizième siècle avec un système de jeu simple à appréhender, on reste éloigné de l’essence attendue dans ce livre : un grand voyage et un puissant sentiment de dépaysement.
Deux choses que vous pourrez trouver, avec le même pays à une époque différente, dans le sixième tome de la Saga du Prêtre Jean, réalisé par un fan : Au pays des Dragons.
Note : 10/20/20