Nous voilà plongés dans le cadre plutôt inhabituel d’une Afrique post-apocalyptique. La contraction que subissent certains toponymes (« Ngal » pour « Sénégal » ou « Njer » pour « Niger ») m’a évoqué le même procédé linguistique utilisé pour le titre du roman « Niourk » (pour « New York ») de Stefan Wul, lequel, tout comme cette AVH, se situe dans un monde ravagé par un cataclysme, dans lequel les survivants sont revenus à un mode de vie paléolithique, et où les vestiges techniques de la civilisation du XXe siècle sont perçus comme les manifestations de divinités.
Nous incarnons un personnage de « sorcier », du moins considéré comme tel par la tribu de Ngemene, vivant près de notre repaire du Rocher Noir. Bien loin de représenter un parangon de sagesse ou de vertu, nous traînons un lourd passé de tribulations plus ou moins heureuses, comportant son lot de fourvoiements, qui nous ont certes permis d’acquérir et de maîtriser certaines connaissances, mais nous ont également attiré plaies et bosses (en l’occurrence, une cocasse malédiction qui nous a teint les cheveux en rouge).
Ce héros se montre bien modeste, pour ne pas dire lucide, conscient de la minceur de son bagage par rapport à l’immensité des connaissances qu’il a pressenties, comme de son autorité toute relative sur sa tribu (il sait son pouvoir décliner auprès des jeunes, qui en grandissant le considèrent comme un radoteur), et conscient enfin, non sans cynisme ni autodérision, de ne pas user de son pouvoir à des fins toujours glorieuses (même s’il se montre occasionnellement altruiste), mais de « jouer la comédie », de « prétexter la volonté des esprits », essentiellement pour son profit personnel plutôt que pour le bien commun. Dans cette aventure, il ne s’agira pas pour lui de sauver le monde, mais plus prosaïquement de
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retaper une bagnole comme un authentique beauf.
Pour autant, notre enchanteur, ne se trouve pas démuni de sens moral. Il considère honnêtement les dommages collatéraux que ses initiatives occasionnent sur la société qu’il est censé protéger, et tente tant bien que mal de les réparer, mais toute sa bonne volonté ne l’empêche pas, par maladresse et défaut de prévoyance, de cumuler de malheureux effets secondaires.
Nous interprétons ainsi un anti-héros, pétri d’une « impuissance blasée » (selon les termes de Jehan), voire d’une « louze dans sa volonté de bien faire » (selon ceux de Shamutanti). Un genre de Brian des Monty Python, prophète malgré lui, passablement dépassé par les événements.
Yaztromo de seconde zone, nous n’exécutons pas nos missions nous-mêmes, mais les confions à toute une série de « champions », des exploits desquels nous demeurons spectateurs (comme dans l’AVH « Y » que je n’ai d’ailleurs pas lue). Nous pouvons prendre à notre compte ces propos d’un personnage au sujet de son père : « Il préfère […] que les problèmes soient réglés par d’autres que lui. »
Un canevas se met en place et se répète (on comprendra rapidement pourquoi) : d’abord nous embobinons notre recrue (qui d’emblée fait lui aussi figure de bras cassé en perdant mystérieusement un item qui lui paraissait indispensable) en le persuadant qu’il se trouve l’héritier légitime d’un illustre antécédent, et que sa destinée doit s’accomplir en acquérant le pouvoir. On reconnaît la reprise parodique d’un thème bien éculé du genre médiéval-fantastique, par lequel nous manipulons notre ingénu requérant, en lui déblatérant exactement ce qu’il désire entendre.
En échange d’une
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pièce automobile
nous l’adoubons d’un artefact plus ou moins loufoque avec lequel il lui incombe de renverser l’usurpateur en place en lui arrachant le Bracelet de Commandement permettant de contrôler une armée que l’on devine robotisée.
Mais le schéma récidive, en raison du caractère peu (voire trop) scrupuleux de nos challengers. A rebours de monarques magnanimes et/ou éclairés, ils accaparent à leur profit la fonction publique, se révélant, chacun dans leur genre, d’ubuesques tyranneaux, imbus de leur intérêt personnel. Ce qui nous force à défaire ce que nous avons fait, à combattre le mal par le mal en recourant à un autre prétendant pour neutraliser le précédent… et ouvrir ainsi une nouvelle itération.
Cette succession de séquences fâcheusement identiques, comme engluées dans une fatalité que nous ne maîtrisons pas, peut être lue comme une métaphore des utopies de toutes sortes, naissant dans l’enthousiasme et la promesse des lendemains qui chantent, pour systématiquement mourir aux triviales contingences humaines. Perpétuel recommencement d’une humanité sisyphéenne condamnée à déchanter indéfiniment.
Pour autant, au-delà de cette dimension philosophique, l’amusement est au rendez-vous, puisque le succès de la quête réclamera un rigoureux emboîtement des combinaisons ouvertes par toute cette panoplie d’équipements que vous proposez à vos aspirants.
Je placerai sous le sceau du spoil le personnage qui brisera ce « cycle désastreux ». Même si le ludolecteur se doute que ces péripéties auraient pu (de l’avis même de l’auteur) se poursuivre indéfiniment, gagner en épaisseur et en complexité… n’était la limite fixée par le nombre de paragraphes !
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En fin de compte, c’est la propre fille du magicien qui vole à son secours. Tout comme Althéos, notre héros se voit nanti d’une descendance, à la différence toutefois que celle-ci, loin d’aiguiser ses ciseaux dans son coin, se manifeste, le seconde… (lui apprenant au passage l’issue de certains ustensiles qui avaient inopportunément fait défaut à chacun des précédents impétrants) et lui montre qu’elle a hérité, non seulement de ses cheveux de feu, mais également de son tempérament bourlingueur en prenant la route à ses côtés, on the road again, pour enfin découvrir ce qui se trouve au nord du désert et qui sait démentir le titre.
Je termine en citant en vrac quelques références littéraires que m’ont suggérées cette ludolecture. D’abord, puisque certains critiques ont regretté la longueur de l’introduction, dont certains aspects ne serviront pas par la suite (sans doute faut-il y considérer le matériau disposé par l’auteur dans l’optique d’une aventure plus vaste) je pourrais comparer cette AVH au
Salammbô de Flaubert, au sujet duquel l’écrivain normand admettait que le socle était trop large pour la statue.
Cette répétition de scènes similaires me fait penser au Nouveau Théâtre, particulièrement à
En attendant Godot de Beckett : ses deux actes superposés, quasiment identiques, n’aboutissant à rien, semblent eux aussi les maillons d’une chaîne sans fin.
Quant aux items passablement surréalistes dont notre chaman affuble ses concessionnaires, ils invoquent les ustensiles burlesques caractérisant l’univers onirique et décalé de
L’Ecume des jours de Boris Vian, où les personnages s’étripent au moyen d’arrache-cœurs.
Bref, comme l’a judicieusement certifié gynogege, on jouit d’un « équilibre entre la dimension ludique et littéraire », heureuse marque de fabrique des productions d’Outremer, dont je ne me lasse pas et que je ne saurai trop conseiller.