Pulgasari est un film qui mérite d’être vu, après tout c’est le seul film de kaiju ( : gros monstre à la Godzilla ) nord-coréen. Si vous lisez l’anglais, vous pouvez le voir sur youtube.
L’histoire du film est en fait plutôt plus intéressante que celle qu’il raconte. Il était une fois un cinéaste sud-coréen ( Shin Sang-ok ) dont les opinions de gauche étaient mal vues du régime de plus en plus dictatorial et répressif de la Corée du Sud, et voilà qu’un beau jour sa femme ( l’actrice Choi Eun-hee ), de qui il s’était séparé d’un commun accord, disparut à Hong Kong. La police étant plus qu’à moitié convaincue que c’était lui qui l’avait fait disparaître et ne s’intéressant pas à d’autres pistes, il se rendit sur place pour enquêter lui-même et découvrit ce qui lui était arrivé de la façon la plus simple et la plus désagréable: lui aussi fut kidnappé par des agents nord-coréens. Cela se passait en 1978.
Quelques tentatives d’évasion lui valurent deux ans dans les prisons nord-coréennes, à l’issue de quoi il fut amené devant Kim Jong-il en personne, alors l’héritier de son père. Ce bon Kim jugeait que la Corée du Nord manquait d’un cinéma à la hauteur et admirait le talent de Shin Sang-ok, donc celui-ci allait se mettre au travail ou bien. Ni Shin Sang-ok ni sa femme ne se portant volontaires pour ou bien, ils tournèrent donc un certain nombre de films avant de réussir à s’enfuir lors d’un festival de cinéma en Autriche en 1986 ( à noter que les circonstances avaient ravivé leur flamme mutuelle ). Et, comme Kim Jong-il était un passionné de films de kaiju, Shin Sang-ok, en 1985, tourna
Pulgasari.
Donc. Quelque part à l’époque Goryeo ( Goryeo c’est très long, je dirais pour ma part le XIV° siècle ), entre la tyrannie du roi et les mauvaises récoltes, il y a des rebelles. D’où le projet royal d’augmenter les forces armées, seulement comme on manque apparemment de fer pour forger des armes quelqu’un a eu la brillante
idée de réquisitionner tout le fer des paysans – instruments agricoles, marmites, tout.
Un vieux forgeron qui a rendu leurs affaires aux villageois est mis en prison à mourir de faim pour l’exemple, sa fille arrive à lui envoyer quelques boulettes de riz qu’il pétrit en une forme grossièrement humanoïde en invoquant la vengeance céleste. Or sa fille se pique le doigt en cousant et une goutte de sang tombe sur la figurine, et voilà, Pulgasari est né.
Il faut le voir, tout mimi, sauver le fiancé rebelle en croquant un gros bout du sabre du bourreau puis les chaînes qui le retiennent…
Seulement en mangeant du fer il grandit vite, atteignant d’abord la taille d’un être humain puis devenant de plus en plus grand. Pour le look, imaginez un minotaure couvert d’écailles avec une queue de crocodile et vous en aurez une idée. Entre sa force, son invulnérabilité et la sainte trouille qu’il inspire aux soldats, c’est l’arme de guerre ultime de la Révolution…
Le conseiller du général Fuan, il faut le lui reconnaître, ne manque pas d’imagination et échafaude différents stratagèmes pour essayer de venir à bout du monstre. Conceptuellement c’est intéressant puisque pour une fois ce sont les méchants qui doivent trouver une combo pour neutraliser une force destructrice écrasante, et puis ça nous permet de nous réjouir avec bonne conscience de leurs échecs
. Mention spéciale à la fois où ils essayent de le brûler – ils n’arrivent qu’à le chauffer au rouge et quand ils s’enfuient en désordre en franchissant une rivière à la nage et sur des canots, il s’y jette à leur suite et ça fait des centaines de vils méchants bouillis vifs. La fois suivante aurait bien pu marcher, mais la fille du forgeron a sauvé le coup à un quart de poil près…
À signaler que le film, s’il est prodigue des vies des méchants, n’épargne pas les gentils non plus ( ah, la fin…
) et est assez honnête pour montrer que l’enthousiasme populaire c’est bien mais ça n’aide pas contre un barrage d’artillerie ( le parc d’artillerie des méchants est un des atouts du film ).
Au niveau psychologie des personnages c’est le degré zéro, toutefois si vous aimez les romances gros monstre/jolie fille c’est infiniment supérieur à King Kong
.
La prise de la capitale est réjouissante si on aime les destructions massives et la panique abjecte des méchants. Là où ça devient drôle, c’est que, maintenant qu’ils ont remporté la victoire, les rebelles se retrouvent avec sur les bras un gros monstre mangeur de fer et qui a faim… comment au juste on gère cette situation ?
Dans la mythologie coréeenne le pulgasari est effectivement un monstre qui mange le fer et qui détruit le mal ( j’ai googlé « Korean mythology », je suis trop fort
), mais le message du film est nettement plus ambigu: une tyrannie qui affame son peuple pour bâtir une armée, un libérateur qui après la victoire se comporte objectivement comme le tyran… il y aurait eu comme une allusion à la gentille petite famille Kim que ça ne m’étonnerait pas trop.