- Aronaar a écrit:
- Les éditions L’alchimiste souhaitent s’enorgueillir, dans le monde du livre-jeu, d’une pluralité de thèmes, après le guère enthousiasmant Les décombres du monde optant pour le fantastique et un sens du merveilleux dilué, nous restons dans la même grande catégorie, en y ajoutant une claire couche de surnaturel.
Wakiza n’est en effet que l’adaptation d’une nouvelle du même nom dans le recueil Sorciers du même auteur, nous proposant d’incarner un guerrier spirite pour purger une maison de l’esprit cruel la hantant- le tout avec une saveur de mystère à percer, de traversée d’un monde au-delà du réel.
Etes-vous prêt à partir à la chasse au Wendigo, ami Lecteur ?
Pour en avoir le cœur net, chaussez vos meilleures bottes de randonnée onirique et allons nous perdre dans cette demeure céans.
Ou presque céans : restons encore quelque peu dans le monde réel pour parler un brin de cette collection.
L’ambition est de rendre hommage au genre des LDVELH tout en lui apportant un renouveau, avec une quarantaine d’années au compteur, gageons en effet qu’il y a la place pour des idées nouvelles.
Cet hommage s’axe autour d’un principe bien défini : faire la part belle à la narration et aux dialogues.
Lorsque l’on songe aux ouvrages d’antan, notamment les séries classiques comme les Défis Fantastiques, il est vrai que les dialogues tirent souvent la courte paille : ou bien ils sont très peu présents, ou ils sont ramenés au style indirect, ou même les deux.
Bien sûr, lorsqu’on traite d’exploration de donjon malfamé, l’occasion de converser n’est pas toujours dans les priorités, enfin, l’aspect restait fréquemment chiche et les PNJ, des figurants rapidement expédiés.
On peut donc se réjouir d’une telle volonté, tout en prenant bien en compte cette autre velléité :
« Nos choix ont été guidés par une volonté de rendre à ces livre-jeux une dimension plus proche du livre que du jeu, tout en gardant une certaine fluidité et une lisibilité de type choix interactif. »
Voilà qui est on ne peut plus avéré. Si, dans les productions de ce nouveau millénaire, on a déjà rencontré des systèmes de jeu minimalistes (confère notamment la collection
Le vrai chemin, par Poséidonia) ici, il reste le substantiel cœur, l’inaliénable dénominateur commun : le choix du paragraphe.
Oubliez les dés, le crayon, la gomme et les règles ! Tout au plus nous indique-t-on que si l’on venait à trépasser (ce qui ne peut pas arriver dans ce roman à choix multiples) on peut revenir directement au début (activité fort peu prisée) ou bien simplement revenir en arrière.
Inutile de baisser les yeux, ami Lecteur, tout le monde dans l’assemblée sait pertinemment que presque chacun d’entre nous a pratiqué au moins une fois le retour éclair « ah mais je me suis trompé de paragraphe ! ».
Ceci étant posé, nous sommes libres de gloser sur
Wakiza, mot signifiant par ailleurs « guerrier déterminé ».
Le propos de départ semble assez simple. Vous incarnez le personnage éponyme (pour une narration à la première personne, chose assez rare pour être notée et qui amplifiera le sentiment de malaise sur lequel nous reviendrons) qui émerge d’un songe agité, duquel ressort notamment le nom d’une rue.
Tout n’était pas clair dans le rêve, Wakiza n’arrive pas à déterminer ce qu’il en est vraiment, s’il est peut-être sous l’emprise d’un mage noir, ce qui mène au premier et dernier réel embranchement de l’ouvrage : choisir d’aller voir votre mentor, Ousémaquin, ou pas.
Vous n’aurez, quelle que soit votre décision, pas l’occasion de lui parler et vous finirez par aboutir dans la maison hantée de Walnut Street (sise dans le Boston des années 50), la divergence la plus significative est la voie vous menant aux archives de Boston et permettant d’en apprendre un peu plus sur la demeure, y compris d’en avoir un plan (lequel, cela dit, ne vous sera pas forcément d’une grande utilité).
Le reste des paragraphes, d’un côté comme de l’autre, entretient un sentiment de confusion, de flou, même si le fil rouge de la mission d’exorcisme demeure dans de brouillard.
M’étant un peu renseigné sur l’auteur, qui a bien d’autres ouvrages non ludiques à son actif (dont un sur l’alchimie des énergies, celles-ci étant largement abordées durant l’aventure), ce côté nébuleux semble faire partie de sa marque de fabrique et il imprégnera la plupart des paragraphes à traverser…
En effet, une fois dans le logis malsain, vous n’aurez de cesse et de tourner en rond comme si vous étiez le prisonnier d’un faux labyrinthe éthéré, revenant encore et encore à un paragraphe (ou d’autres très similaires) vous proposant à nouveau de vous rendre dans l’une des pièces du bâtiment.
Selon que vous ayez visité telle ou telle section antérieurement, ou bien si vous avez déjà essayé (ou êtes parvenu) à entrer dans une des pièces, le paragraphe de destination ne sera pas le même, tandis que vous aurez presque toujours l’impression qu’une ombre malfaisante épie vos efforts désordonnés avec un sourire carnassier.
Notre encéphale en vient à être pris dans une gangue d’incertitude, un méli-mélo de signes nous faisant douter de la réalité des choses et pouvoir réellement progresser dans cette ordalie hors du temps.
Les ferments d’un véritable cauchemar dont on ne serait que trop heureux de se débarrasser ? Pas tout à fait. Il n’y a pas là, contrairement à ce à quoi on pourrait s’attendre dans un LDVELH classique, une séquence plus ou moins absconse qu’il faudrait déchiffrer à l’aide d’indices plus ou moins obscurs.
Avec un minimum de détermination, vous allez finir par dénicher l’endroit où le Wendigo vous attend pour la confrontation et peu importe que vous ayez compris (ou que vous vous souveniez) de la technique de combat pour le vaincre.
Il y a bien une section du livre qui vous interroge sur le nombre de fois où vous avez échoué… Mais même si vous avez été défait par trois fois, le Grand Esprit (ou Lionel Cruzille, au choix), dans sa mansuétude infinie, vous fera revenir en arrière pour que vous puissiez repartir à l’assaut.
L’épilogue, quant à lui, ne changera nullement que vous réussissiez du premier coup ou non.
Pour ce qui est du mystère qu’on nous fait miroiter en quatrième de couverture, il cesse rapidement lorsque vous êtes plongé dans la maison de Walnut Street : un petit tour à la cave et un esprit ne sera que trop heureux de vous expliquer l’histoire de la famille ayant possédé le domaine auparavant, expliquant par là-même pourquoi le Wendigo, esprit symbolisant entre autres l’avarice, est venu faire du airBNB à perpétuité dans le coin.
Pour ceux qui sont déjà habitués à cet élément du folklore amérindien, il n’y aura pas de grande surprise devant cette mise en scène de l’esprit maléfique.
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Une petite illustration pour vous donner une idée. Le livre en est peu pourvu (et celle-ci n’en fait pas partie), néanmoins elles contribuent à renforcer l’ambiance malaisante.L’autre facteur empêchant de réellement nous plonger dans une boucle perpétuelle à briser (comme on peut en avoir un exemple dans le jeu horrifique, plutôt réussi,
Cat in the box) est la taille du livre-jeu : pour environ 116 pages, on comptera 108 paragraphes.
Difficile de tourner en rond très longtemps et à l’instar des Décombres du monde, la structure du tome ne nous offre guère d’incitations à la relecture, du moins, pas plus que pour un livre « normal ».
L’avantage ici est que le manque de répercussion dans les choix est assumé, une constituante de l’expérience proposée.
Par ailleurs, on sent clairement que l’auteur a déjà de l’expérience (et qu’il se base sur une nouvelle déjà existante) : le vocabulaire et le niveau de langage sont plus soutenus que la moyenne des LDVELH ; il détaille avec force éléments le background de Wakiza, ses impressions, ses sensations, sa volonté sans faille de mener sa mission à bien.
En ce sens, la première personne est un excellent choix qui aide à se mettre dans la peau de celui ayant déjà affronté des démons par le passé, contribuant à nous entraîner dans cet autre monde nébuleux, cette spirale étouffante qu’il faut briser à l’aide de sa lumière intérieure.
Cruzille maîtrise son thème et nous le montre clairement… Ce qui est à la fois une force et une faiblesse, pour une raison extrêmement simple : Wakiza respire la spiritualité à tous les coins de phrase, reflétant la philosophie de son auteur.
Ce qui peut être diablement polarisant : je suis conscient de mes propres biais en la matière car, sans m’adonner à la zététique, je suis plutôt sceptique de nature et tous ces concepts de spiritualité, de chemin intérieur et lumière de l’âme ont tendance à me laisser froid, je ne suis clairement pas le bon public pour ce genre d’ouvrage- malgré toutes les qualités littéraires de ce dernier, le plaçant bien des coudées au-dessus de la moyenne des livre-jeux.
Pour autant, on peut à nouveau se poser la question suivante : l’appareillage ludique est-il bien pertinent pour ce récit ?
J’aurai tendance à répondre par la négative. C’est un outil utilisé à bon escient dans le cadre de la courte boucle constituant le plat principal du livre, le reste ne prend guère puisque l’embranchement proposé n’est pas très déterminant, la gestion des objets est quasiment inexistante, la longueur est faible.
A deux reprises on vous demandera de choisir un chiffre en 1 et 6, ce qui ne présente aucun intérêt par rapport à un jet de dés, sauf nous épargner l’effort d’en avoir à disposition.
Lorsqu’on voit toute la fluidité permise par un système comme celui de la série Destins (pas de combats, des compétences pour une feuille d’aventure non-invasive, pas de jets de dés et un inventaire à prendre en compte) la volonté, louable, de laisser une lisibilité idoine est insuffisante.
En dernière analyse, si le concept vous attire et pour un prix similaire, il vaudra probablement mieux vous laisser tenter par le recueil de nouvelles !Je décerne un dreamcatcher/20 à l'ouvrage.